Elle était de ces créatures dont la peau ne s’accommode que rarement aux rayons du soleil, sa silhouette perchée sur des brindilles pour lui faire dominer la mince foule agitée de l’après-midi, la surprise sur le visage des manants de voir la bête nocturne se présenter à leurs yeux sans même se donner la peine de leur laisser ne serait-ce qu’un regard, engoncée dans ses teintes chaleureuses et des tissus tordant son corps pour lui donner une finesse qu’il ne possède pas, l’extravagante Divine n’avait pris la peine de cacher quelques parcelles de son visage que d’une mince paire de lunettes aux verres teintés pour que ses yeux ne soient pas aveuglés par le soleil qu’ils ne connaissaient que trop peu. Elle sortait de l’Église, élancée, ses jambes à demies-nues desquelles elle refit glisser le tissu de sa robe pour entretenir la douce comédie à laquelle elle se livrait, allait pleurer dans les bras du belle Altair pour tenter de lui quémander quelques baisers et ne ressortir de laquelle qu’à peine décoiffer pour attirer les jasements – personne ne pouvait croire que même l’abominable et les quelques chèvres, émanations diablotines, qui marchaient dans ses pas n’aient pu corrompre l’âme du saint et converti père Altair, pourtant à chacune de ses sorties du confessionnal, d’un geste discret autour de la bouche ou de quelques mains agrippées pour faire redescendre le tissu à des hauteurs convenables, tous retenaient leurs souffles de cette actrice qui leur laissait miroiter, l’espace d’un instant, le dernier des possibles, la damnation de la dernière âme du village. Finissant d’ajuster sa robe au tissu trop noir pour qu’on ne la remarque pas, perdue dans les quelques bêlements qui à ses oreilles résonnaient en des rires moqueurs, elle n’avait plus rien à faire que de ramener sa blondeur de plastique au théâtre pour préparer la nuit à venir – elle serait comme toutes les autres et pourtant bien différente, si les mécanismes à huiler étaient les mêmes, tout pouvait arriver au théâtre, du lynchage aux pleurs devant la beauté du spectacle. Elle n’avait pas envie de se perdre dans le village, en connaissait déjà les recoins sans intérêts et quelques brutes qui voulaient la tordre mais n’en avaient pas la force, de son habilité à marcher sur les badauds sans entendre leurs gémissements de douleur, ce fut, sans grande surprise, un bêlement vindicatif – une douce et mélodieuse insulte – émanant d’une petite chèvre bicolore qui la convainc de se retourner. La biquette chocolatée parsemée de tâches de lait s’était mise en tête on ne sait quelle idée, mais des ses râles qu’elle était la seule à comprendre, la matrone appréciait le fait que la caprine partageait bien des sentiments à l’égard de la pauvre victime qu’elle essayait de faire tomber à coups de tête inefficaces, sans compter que la jeunette n’avait même pas encore de cornes pour trouer la peau qu’elle aurait voulu arracher. « Comme ce village est petit, » accusa Divine sans rien faire pour retenir la petite Salomé – doux prénom sûrement tiré du seul livre que ce bougre de Miguel savait lire, la Bible – d’encastrer sa tête dans les jambes de Lyra qui essayait tant bien que mal de résister aux assauts de la tempête d’à peine une trentaine de centimètres, « un peu trop, peut-être, j’aurais préféré ne pas croiser les petites gens en sortant. » Elle n’était pas des douceurs qui se dégustent en bouche, préférait attaquer les gencives quand on menaçait de la croquer, et c’était exactement ce qu’elle faisait avec Lyra, la rousse propriétaire du pandémonium.
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