Can you hear heaven cry the tears of an angel
Zénith brûlant, océan de poussière, pas un souffle de vent. Pourtant la poussière, soulevée par un caprice du Diable, lui asséchait la bouche et lui collait à la peau, infime voile visqueux de sueur et de terre en particule sur une peau tannée de soleil et de regrets. Il avait le muscle cardiaque qui pompait comme jamais, rappel douloureux d’un corps usé avant l’âge, d’années de vie perdues dans les filles et l’alcool. Vaincu par la chaleur. Il referma les paupières une seconde, tentative vaine d’apaiser des yeux aveugles d’avoir trop contemplé l’immaculé nouveau du mur qu’il terminait de repeindre. Une nouvelle matinée consacrée à effacer de ses mains les obscénités qui maculaient l’ultime bastion de Dieu, sacrilèges proférés dans la nuit par des âmes perdues comme il avait pu l’être. La miséricorde du Tout-puissant était infinie ; mais pourrait-Il leur pardonner une chute si profonde ? Parfois lui-même laissait le doute s’insinuer et ébranler ses convictions les plus profondes.
Il abandonna son mur blanc à la fournaise de la mi-journée, réfugiant la faiblesse de son humanité dans les ombres fraîches du presbytère, habitat frêle construit à un jet de pierre de l’église. Forteresse tous les jours purifiées, celle-ci s’élevait dans le village comme un phare de salvation dans un océan de bassesse. Certains se complaisaient à s’y vautrer ; il ne leur jetterait pas la pierre, qui était-il pour le faire ? D’autres, comme il l’avait fait, venaient parfois chercher dans l’immaculé donjon le début d’une lumière dans les ténèbres de leur fosse commune. Et lui, patient oracle de leur salvation, écoutait sans ciller les plus profonds de leurs égarements. Il désarmait leur méfiance de sa désarmante sincérité, pardonnant avec toute cette bonté que la colère divine l’avait forcé à trouver en lui. Etrange caractère que ce padre repenti qui tentait de sauver ses anciens disciples de perdition.
L’eau fraîche glissa sur la peau burinée, emportant avec elle la poussière et la sueur, ruisselant le long des traits et des muscles, lavant les cheveux et le corps des efforts de la matinée. Il se sécha, s’habilla, s’armant de ce col blanc qui tranchait sur le noir du costume. Pantalon et chemise. Il a tombé la soutane depuis longtemps, la laissant au souvenir de son prédécesseur. Sortant de l’étroitesse du presbytère, il se laissa happer par la fournaise une fois, traversant la place, s’insinuant dans l’église par la petite porte. Cette bâtisse, il l’avait entièrement retapée de ses mains, sauvant de la ruine cette construction sans âge, une pierre à la fois. Il la connaissait par cœur. Son silence, surtout, qu’il ne brisait normalement que de ses prières à cette heure.
Mais pas aujourd’hui. Il flottait dans le silence contrarié le plainte hachée d’une peine confiée au regard austère du Christ rédempteur. Apparaissant comme une ombre silencieuse, il parcourut l’allée centrale de la nef d’un pas tranquille, cherchant sans la voir la source des regrets qui résonnaient contre les plâtres de la nef. Il la trouva là, acculée dans un coin, comme un animal apeuré terré. Enfermée d’elle-même dans une voie sans issue, en proie à l’impasse de sa propre situation. L’éclair d’un mouvement soudain ; l’oiseau était blessé, mais son instinct infaillible, et il avait été repéré avant même d’avoir pu approcher. Pourtant la douleur qu’il lut dans ce regard lui broya le cœur. Il connaissait ce visage. Il l’avait déjà vue, parfois, mirage de joie et d’innocence dans cette fosse infernale qu’était leur village. Il s’était toujours étonné de lire dans son regard la beauté inhumaine d’un monde avant leurs châtiments et leurs faiblesses. Et la fracture qu’il lisait aujourd’hui dans ses iris menaçait de lui ouvrir l’âme en deux, car cette enfant était peut-être l’ultime once de pureté dans ce marasme. Et ce beau miroir de douceur menaçait à l’instant de se briser s’il venait à être effleuré de davantage d’horreur. Quel sacrilège avait pu bafouer à ce point la bonté qu’elle dégageait normalement ?
Il fit un pas, avec la prudence de celui qui a peur de voir tout disparaitre s’il venait à faire un faux mouvement. Dans un soupir qui ne témoignait de rien d’autre que de l’insoutenable bassesse du sol pour un corps épuisé, il s’assit par terre à son tour, tassant sa carcasse à la hauteur de sa jeune paroissienne toujours tassée dans son coin. « Il n’est rien qui ne puisse être pardonné en ce lieu. » La voix basse avait interrompu d’un murmure les sanglots qui secouaient le corps en face de lui. Un sourire doux, infini de bonté et de compassion, adoucit les traits tracés au burin du prêtre. « Mais avant toute chose, il faut que tu t’apaises. Je ne te dirai pas de ne pas pleurer, car toutes les larmes ne sont pas un mal. Personne ne te jugera. Ensuite, nous parlerons, d’accord ? » Il avait toujours aux lèvres ce sourire doux, et dans les yeux cette lueur qui convaincrait le plus sceptique qu’il n’était pas d’ignominie qui ne puisse être avouée et pardonnée. Mais il avait besoin de voir ces sanglots qui la secouaient s’assécher, car il craignait de la voir se briser d’un instant à l’autre dans un hoquet trop fort.
CODAGE PAR AMIANTE